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New Space et ambitions militaires : l’Amérique latine entre coopérations et indépendance

« Il existe une ambition en Amérique latine de ne pas rester de simples spectateurs, mais de devenir de véritables acteurs dans ce domaine. Et nous, nous voulons voir comment nous pouvons aussi contribuer au développement de l’industrie locale à travers différents programmes. Ainsi, nous envisageons potentiellement des programmes au Chili ainsi qu’au Pérou » explique Victor De la Vela, Directeur Général pour l’Amérique latine d’Airbus Defence and Space.¹ Télécommunications, observation de la Terre, usages militaires, les États latino-américains semblent avoir pris toute la mesure de l’importance de développer des programmes spatiaux ambitieux.

© Cristina LaFee de Pixabay.
© Cristina LaFee de Pixabay.

Miser sur le New Space


Développer de tels programmes nécessite un savoir-faire technologique et industriel de pointe. Une expertise qui, pour l’instant, fait encore défaut. C’est pourquoi les États latino-américains s’appuient sur des entreprises étrangères pour développer leurs programmes spatiaux. Présent dans la région, Thales propose deux types d’offres : un segment telecom pour les communications gouvernementales et un segment institutionnel avec des technologies embarquées sur des satellites d’observation, de navigation ou scientifiques. Au Brésil, ses projets portent principalement sur les télécommunications tandis qu’au Chili les projets sont plutôt scientifiques. « En Argentine, Thales a fourni la charge utile des satellites Arsat 1 et 2, actuellement en service. Nous travaillons étroitement avec les autorités pour trouver la meilleure manière de collaborer selon les besoins (charge utile, équipements, satellites complets…) » explique Luis Mongini, Country Director South Cone, Thales.² « La capacité industrielle est encore limitée. Un exemple : pour intégrer une charge utile dans un satellite, il faut une caméra thermique adaptée. Une caméra trop volumineuse ne peut pas s’intégrer dans un petit satellite. Thales est flexible : si un pays veut seulement une charge utile, on la fournit. S’il a déjà une charge utile, on construit le satellite. L’essentiel est d’apporter une réponse sur mesure aux besoins nationaux. La pandémie a confirmé l’importance de la présence locale : quand les aéroports sont fermés, si on n’a pas d’équipes sur place, on ne peut pas intervenir » poursuit Luciano Maccaferri, vice-président du groupe en Amérique latine.³ Malgré des capacités encore limitées, le New Space latino-américain se fait peu à peu une place. Satellogic, première entreprise argentine à avoir construit des nanosatellites a récemment conclu un contrat pluriannuel de 30 millions de dollars⁴ avec un client du secteur de la sécurité et de la défense. Il s’agira de fournir des analyses de données mises à jour quasi quotidiennement avec un temps de latence très faible grâce à la constellation de satellites tous équipés en intelligence artificielle. Une capacité qui améliore considérablement la réactivité opérationnelle et la prise de décision, véritable atout stratégique pour les forces armées.


Un terrain de compétition entre la Chine et les États-Unis


Le 20 novembre dernier le Brésil a signé un accord avec la Chine afin d’accéder au réseau internet par satellites du programme Qianfan. Une annonce éminemment géopolitique qui intervient à peine un mois après la brouille entre Elon Musk, propriétaire de Starlink, la plus grande méga constellation et les autorités brésiliennes. Force est de constater que le spatial en Amérique latine est un terrain géopolitique de premier plan, marqué par la rivalité croissante entre la Chine et les États-Unis. La Chine est en effet le principal partenaire dans le domaine spatial de nombreux pays de la région alors qu’historiquement et dans de nombreux autres domaines le partenaire privilégié reste les États-Unis. En matière spatial, la Chine est très proche de la Bolivie, du Brésil, du Nicaragua, du Venezuela et de l’Argentine et entretient des relations avec le Chili, l’Équateur, le Pérou, l’Uruguay et le Venezuela. Au niveau bilatéral, Pékin en profite pour signer des accords de défense et explorer le potentiel usage dual des satellites. C’est d’ailleurs ce qui préoccupe les États-Unis. En juillet 2014, le ministère brésilien de la Défense et l’Administration d’État chinoise des sciences, technologies et industries pour la défense ont signé un protocole visant à renforcer leur coopération dans le domaine des satellites à usage militaire en complément d’un accord de défense déjà signé quelques années plus tôt. Une logique d’usage dual qui s’illustre également en Argentine, où la Chine a installé une station de suivi de l’espace profond dans la province de Neuquén. Washington s’inquiète de cette installation, les États-Unis redoutant qu’elle puisse servir à un contrôle renforcé des satellites chinois, notamment à des fins de renseignement militaire.


D’autres coopérations émergent


Autre région avec laquelle les coopérations sont de plus en plus importantes : le Moyen-Orient. Même si les initiatives restent récentes, le projet satellitaire binational argentino-turc GSATCOM en est le fer de lance. L’objectif ? Rompre avec leur dépendance technologique en tirant partie de leurs forces respectives. Malgré des difficultés financières, l’initiative reste en développement. Le groupe émirati EDGE a engagé une coopération approfondie avec le ministère de la Défense brésilien, centrée sur le développement de technologies de défense avancées. Ce partenariat inclut la mise au point de drones, des collaborations dans le domaine des missiles et des technologies non létales, ainsi que le développement de solutions de communications sécurisées. Ce dernier volet repose sur un système intégré conçu conjointement par EDGE et son partenaire local, Sistemas Integrados de Alto Teor Tecnológico (SIATT). « Ces coopérations ne sont pas que des transactions commerciales : elles traduisent une réévaluation stratégique en profondeur, visant à concilier autonomie et besoin d’apports technologiques externes. Elles permettent de surmonter les coûts élevés et les risques géopolitiques liés à l’accès indépendant à l’espace, en évitant à la fois une dépendance excessive aux fournisseurs traditionnels du Nord global et une dépendance trop marquée aux puissances spatiales révisionnistes que sont la Chine ou la Russie » analyse le Dr. Ariel González Levaggi, Associate Professor, Pontifical Catholic University of Argentina.⁵ L’Union européenne peine, de son côté, à s’imposer comme un acteur privilégié de ces coopérations avec l’Amérique Latine. Quelques projets se distinguent tout de même. Des centres régionaux de Copernicus sont implantés au Panama et au Chili. L’initiative européenne du Global Gateway prévoit jusqu’à 45 milliards d’investissement dans la région d’ici 2027 avec un accent porté notamment sur les infrastructures spatiales. « Au-delà des liens existants, il existe une large marge pour consolider une coopération régionale ambitieuse et durable, au bénéfice des deux régions, dans un contexte de compétition mondiale » concluent Juan Pablo Soriano, maître de conférences en relations internationales, Universitat Autònoma de Barcelona et Maria Castells, chef de projet pour le transfert de technologie et les projets d'innovation, Knowledge Innovation Market.⁶



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