L’OTAN, plus que jamais pilier de la défense collective
- camilleleveille8
- 30 juin
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Dans un monde bouleversé par des crises géopolitiques multiples, des ruptures technologiques et des menaces hybrides de plus en plus prégnantes, l’OTAN doit se réinventer. Entre stratégie militaire, cohésion renforcée, montée en puissance industrielle, partenariats globaux et innovations, l’Alliance se prépare à relever les défis d’un environnement de sécurité en constante mutation.
Rencontre avec l’Amiral Cavo Dragone, Président du Comité militaire de l’OTAN
Propos recueillis par Camille Léveillé

Faire face à toutes les menaces
Dès 2018, l’OTAN a élaboré une stratégie militaire globale pour assurer la défense collective de l’Alliance. De nouvelles priorités ont ainsi été définies. « Cela a marqué le passage de l’OTAN d’une posture de réaction aux crises à une posture de dissuasion. Cette stratégie a été suivie, en 2020, par le Concept de dissuasion et de défense pour la zone euro-atlantique (DDA), une stratégie à court et moyen termes permettant aux Alliés de renforcer rapidement cette posture de dissuasion et de défense de l’OTAN dans tous les domaines, de manière cohérente et ciblée, afin de contrer deux menaces : la Russie et les groupes terroristes » explique l’Amiral Cavo Dragone. 2024 fut aussi l’occasion, lors du Sommet de Washington, de réaffirmer l’engagement de l’Alliance pour lutter contre les menaces hybrides. « Les chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN ont réitéré que des opérations hybrides menées contre des Alliés pourraient atteindre le niveau d’une attaque armée et conduire le Conseil de l’Atlantique Nord à invoquer l’article 5 du traité de Washington. En parallèle, l’OTAN a renforcé ses capacités avec un centre d’expertise dédié à la guerre hybride, en particulier le Centre d’excellence pour la lutte hybride à Helsinki, qui constitue un pôle essentiel de formation et d’expérimentation entre l’OTAN et l’Union européenne ».
Cohésion, réactivité et partenariats
Lors des dernières discussions du Comité militaire en session des chefs d’état-major de la défense, « trois points fondamentaux ont émergé : la cohésion, la réactivité et le partenariat. La cohésion de l’OTAN est une priorité absolue que nous devons préserver et renforcer à tout prix. Cela signifie non seulement une coopération politique et militaire, mais aussi une prise en compte de l’ensemble de la société et des citoyens alliés. Nous devons mieux expliquer nos préoccupations et l’importance cruciale de maintenir une dissuasion crédible et efficace dans un environnement de sécurité aussi difficile, grâce à une Alliance plus forte, plus équilibrée et plus létale. La réactivité – et avec elle l’adaptabilité – sont essentielles. Nous devons accélérer la mise en œuvre des objectifs capacitaires fixés pour chaque Allié, dans les domaines terrestre, maritime, aérien, cyber et spatial. Ces nouveaux objectifs exigent davantage de forces et de capacités, soutenues par des investissements accrus et seront prochainement adoptés par les ministres de la Défense de chaque État » développe l’Amiral Cavo Dragone et d’ajouter : « En janvier 2025, nous avons rassemblé la majorité de nos partenaires du monde entier et convenu de renforcer notre politique d’élargissement de partenariats. Les défis mondiaux exigent des solutions mondiales. Nous sommes aux côtés de nos partenaires pour préserver un ordre international fondé sur des règles, des normes et des valeurs, plutôt que sur la violence et l’intimidation. Il ne s’agit pas de faire de l’OTAN une Alliance mondiale, mais de reconnaître que la sécurité n’est plus locale. Elle est désormais mondiale ». Un contexte dans lequel s’inscrit l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Alliance. « Pendant de nombreuses années, ces deux pays ont été des partenaires proches, s’exerçant aux côtés des forces alliées et respectant les standards de l’OTAN. Avec les côtes suédoises et finlandaises, le contrôle des routes maritimes et la couverture de défense aérienne dans la mer Baltique sont renforcés. Cela vaut également pour l’Arctique et le Grand Nord, des zones géopolitiques cruciales où la concurrence avec la Russie et la Chine est déjà bien réelle. L’adhésion complète des pays nordiques permet à l’OTAN de créer un arc continu au nord, de l’Amérique du Nord à la Norvège jusqu’à la Finlande, améliorant ainsi la surveillance et les routes de renfort à travers l’Arctique. »
Les leçons de la guerre en Ukraine
« Une des principales leçons tirées de la guerre en Ukraine reste que nous ne pouvons pas considérer la démocratie et la liberté comme acquises. Nous devons être prêts à les défendre, et à investir davantage, car la sécurité et la dissuasion ne sont ni gratuites, ni bon marché. Nous devons aussi nous rappeler que le coût de la sécurité est bien inférieur à celui d’une guerre, et à celui de la reconstruction. » affirme l’Amiral et de poursuivre : « Sur le plan opérationnel, la leçon principale est le retour des tactiques conventionnelles, amplifiées par les technologies avancées. Les forces de l’OTAN doivent être capables d’intégrer leurs opérations dans les cinq domaines : terre, air, mer, cyber et espace, mais aussi dans la dimension cognitive. Au-delà des stocks traditionnels de munitions, de chars, d’avions et de navires, il devient essentiel pour une dissuasion crédible d’exploiter les dernières avancées en intelligence artificielle, car aucune autre technologie ne possède un tel potentiel de rupture. Les batailles de demain intégreront probablement des essaims de systèmes sans équipage coordonnés par l’IA et opérant simultanément dans tous les domaines. »
Innover et investir durablement
« Le champ de bataille de demain sera plus rapide, plus complexe, et beaucoup moins tolérant aux lacunes d’interopérabilité. L’Alliance devra donc investir durablement dans des technologies comme le calcul en périphérie ou des outils de communication définis par logiciel. Les Alliés explorent les innovations de pointe dans tous les domaines : intelligence artificielle, technologies hypersoniques, connaissance du domaine spatial, résilience cyber et informatique quantique. » souligne l’Amiral Cavo Dragone. « La supériorité technologique est essentielle pour bâtir une dissuasion crédible et efficace. Mais il ne suffit pas d’acheter de la technologie : nous devons la développer ensemble, la tester ensemble et la déployer ensemble. Nous devons développer des capacités plus efficaces, plus rapides et plus résilientes. Aujourd’hui, dans de nombreux pays de l’OTAN, les grands projets d’armement prennent jusqu’à 15 ans entre le concept et la livraison. L’industrie doit adopter une approche fondée sur l’investissement, acceptant une part de risque en vue de gains futurs. Pendant ce temps, certains de nos compétiteurs produisent deux à trois générations de systèmes », poursuit-il. Ces dernières années, bon nombre d’États membres de l’OTAN ont augmenté leur production. « Aujourd’hui, nous fabriquons plus d’obus, de navires et de missiles qu’au cours des dernières décennies. Mais nous devons aller encore plus loin et plus vite. Je mentionnerai un domaine où l’Alliance s’engage fortement : les systèmes sans équipage, qui ne sont plus une technologie de demain, mais d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse de renseignement, de logistique, d’opérations de combat ou de guerre électronique, ces systèmes redéfinissent déjà l’environnement de combat. Ils répondent à l’un des grands défis actuels de la défense : la disponibilité du personnel. Mais la technologie seule ne constitue pas un avantage stratégique. Ce qui compte, c’est la manière dont nous intégrons ces technologies dans nos concepts, nos structures, notre interopérabilité et nos cycles de décision. Par exemple, le développement du projet Task Force X, initiative multinationale dirigée par l’OTAN intègre des capacités alliées, notamment des navires autonomes. Le tout de manière interopérable. »
Garantir un avenir commun
« Je tiens à souligner que l’engagement des États-Unis envers la cohésion de l’OTAN reste solide et inchangé. Cela a été affirmé à de nombreuses reprises et démontré par des faits. J’ai pu le constater personnellement lors de ma visite à Washington (DC) à la mi-mai. L’OTAN demeure essentielle pour la défense des rives atlantiques, pacifiques et arctiques, ainsi que des flancs est et sud de l’Alliance. » Un avenir commun reste encore à construire, brique par brique, jour après jour. « Nous n’avons pas d’autre choix que de poursuivre ces efforts ensemble, sans hésitation : la sécurité d’un milliard de citoyens en dépend » conclut l’Amiral Cavo Dragone.