13 jours, 13 nuits. Mohamed Bida raconte Kaboul, dans l’œil du cyclone.
- camilleleveille8
- 26 juin
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Le 15 août 2021, Kaboul tombe aux mains des Talibans. Dans l’ambassade de France, un homme est en première ligne : Mohamed Bida, commandant de police, attaché de sécurité intérieure adjoint. Durant treize jours et treize nuits, il organise l’évacuation de milliers de personnes, négocie avec les Talibans et protège des familles entières. Un témoignage fort et plein d’humanité, où chaque décision peut changer une vie.
Rencontre avec Mohamed Bida, auteur de 13 jours 13 nuits aux éditions Denoël, une histoire vraie portée sur le grand écran le 27 juin 2025.
Propos recueillis par Camille Léveillé

Le calme avant la tempête
Les "Accords de Doha" signés au Qatar le 29 février 2020, entre les Etats-Unis et le mouvement Taleb prévoyaient un retrait total des troupes américaines d’Afghanistan au plus tard le 1er mai 2021. « Dès le mois de novembre 2020, nous décidons de rapatrier une partie de notre personnel. En avril, la décision est prise d’évacuer l’ensemble du personnel afghan d’ici la fin du mois. Mais, plus les jours passent, plus nous nous rendons compte que le calendrier des Américains ne sera pas tenu, ce qui nous laisse d’avantage de temps. On pressentait déjà la chute de Kaboul. Pourtant, contre toute attente, la situation est calme. Certaines ambassades européennes critiquent alors notre stratégie de rapatriement jugée trop précipitée. Nous restons sur notre décision et, à la mi-juillet, un avion vide arrive de France avec pour objectif d’évacuer les derniers Français toujours sur place malgré les précédentes injonctions à quitter le pays » explique Mohamed Bida et de poursuivre : « Tout s’accélère à partir du 6 août, quand les Talibans prennent le contrôle de 5 provinces en une journée. Le 12 août, ils en contrôlent 15 sur 34. Ce jour-là marque une bascule. Ils entrent dans Kaboul à 7h du matin le dimanche 15 août, créant une panique générale. »
La négociation d’une vie
Seule ambassade encore en activité, la représentation française devient rapidement un point de ralliement. En plus des derniers ressortissants français, d’autres Occidentaux viennent s’y réfugier. « Il restait près de 150 Français à faire évacuer » se rappelle le Commandant de police. La représentation diplomatique se situe à 200 mètres du palais présidentiel, que les Talibans transforment en quartier général. Mohamed Bida, lui, attend les derniers arrivants qui tardent à se présenter. « Le 15 août au matin, face au chaos, je suis persuadé qu’on sera évacués le soir-même et que je serai dans mon salon, en France, dès le lendemain » explique-t-il. Parmi les derniers arrivants, plusieurs Afghans munis de visas français, censés être évacués avec eux. Mais rapidement, la rumeur se répand dans Kaboul : l’ambassade de France est toujours ouverte. « Une foule commence à s'amasser devant le portail de l'ambassade. Ils sont plusieurs centaines. Le portail de l’Ambassade est blindé et pèse plus de 20 tonnes. Certains ont essayé de le dégonder, de le faire tomber mais c’est impossible, il est très résistant. De notre côté, on sait que si l’Ambassade est envahie, l’opération d’évacuation est terminée. Des hélicoptères américains sont attendus dans la matinée pour nous exfiltrer. Mais ils ne viennent pas. Nous finissons par apprendre que les Américains refusent d’évacuer les Afghans qui détiennent des visas français. Je contacte l’Ambassadeur qui m’explique qu’il va négocier avec son homologue. Vers 18h, deux hélicoptères apparaissent enfin. Je demande à mon collègue Martin de préparer l’évacuation. Sauf que, dans le même temps, on entend des rafales d’armes automatiques dirigés vers le ciel, visant les hélicoptères qui essaient de les éviter, et finissent par faire demi-tour. Nous comprenons alors qu’ils ne reviendront pas, les Américains ne prendront pas ce risque. » partage Mohamed Bida. 21h-21h30 : explosion derrière les murs de l'ambassade. Panique généralisée. Le portail tient bon, mais la foule s’écrase contre lui et des enfants sont pris dans cette cohue. « Je vois sur les caméras de vidéosurveillance des personnes en train de suffoquer. Nous allions assister à la mort de centaines de personnes. J’appelle aussitôt l’Ambassadeur pour lui faire état de la situation. L’ambassade est organisée en trois zones, cloisonnées par de hauts portails de dix mètres. Je propose de faire entrer ces gens et de les confiner dans l’une des zones, car nous ignorons tout d’eux. Représentent-ils une menace à notre sécurité ? Potentiellement. Mais je ne peux pas, moralement, les abandonner dans cet enfer. Le compromis est trouvé. J’ouvre le portail et découvre une foule composée majoritairement de femmes et d’enfants. A ce stade, il n’est pas prévu d’évacuer ces 500 personnes. Nous les avons fait rentrer pour les protéger des explosions » relate Mohamed Bida. Pour eux, le départ reste prévu dans la nuit, aux alentours de 3 heures du matin. A 4h, l’information lui parvient : les évacuations en hélicoptères sont terminées. « Ce lundi matin, un élément déclencheur va provoquer la volonté de négocier avec les Talibans. Parce que le nœud du problème est là. Nous sommes livrés à nous même. Je connais ma capacité à organiser un convoi, je savais que c’était possible et j’étais déterminé à le prouver. J’appelle l’Ambassadeur et lui expose mon plan : une évacuation par la route, en profitant du couvre-feu de 19 heures. Les rues seront vides, et les Talibans, heureux de nous voir partir, nous laisseront probablement passer. » Débutent alors les négociations. Ce sont des instants d’extrême tension, où chaque mot compte, où tout peut basculer à la moindre erreur. Mohamed Bida s’en charge : il négocie, appelle un chef Taliban influent, et obtient finalement l’autorisation de réquisitionner des bus pour conduire les 500 personnes de l’ambassade jusqu’à l’aéroport. « Le départ est prévu à 21 heures, avec un convoi composé de 7 4x4 et 11 bus. Tout le monde est à cran. En route, une détonation retentit. Nous sommes évidemment très inquiets, la tension monte encore. S'ensuit un certain chaos. Plus tard, nous sommes à un checkpoint et un Taliban refuse à nouveau de nous laisser passer. Après de longues minutes de négociation, il accepte de nous laisser partir » témoigne Mohamed Bida. Le convoi finit par arriver après 1h40, épuisé, mais tous sains et saufs.
Sauver un maximum de vies
Autour de l’aéroport, c’est le chaos. « Le 17 août, en arrivant à l’aéroport, je suis convaincu que notre mission est terminée et que nous rentrerons en France dès le lendemain. Mais très vite, des listes de noms envoyées par des personnalités françaises commencent à affluer. Elles nous demandent de trouver des personnes qui seraient à l’aéroport afin de les rapatrier en France. Des Afghans dont la vie sera en danger sous le régime taliban. Nous avons ainsi évacué près de 3 000 personnes » explique Mohamed Bida qui assistera sur place à des scènes d’horreur. « Je voyais des enfants déambuler, seuls et couverts de sang. Ce sont des scènes insoutenables. Nous ne pouvions pas sauver tout le monde. Comme mon collègue me l’a dit une fois dans l’avion, près de 10 jours après notre arrivée à l’aéroport : “On a fait ce qu’on a pu”. Raisonnablement, nous ne pouvions pas faire plus. C’est déjà un exploit que nous soyons tous partis sans une égratignure. » Mohamed Bida prendra sa retraite un mois plus tard.
Son histoire sera bientôt portée à l’écran dans 13 jours, 13 nuits réalisé par Martin Bourboulon, en salles dès le 27 juin, en partenariat avec le GICAT (Groupement des industries françaises de Défense et de Sécurité terrestres et aéroterrestres).