Guerre économique : sortir de la naïveté pour mieux protéger nos entreprises
- camilleleveille8
- 2 oct.
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Face à des menaces économiques de plus en plus complexes, il est crucial de repenser nos outils et nos pratiques. Dans un nouveau rapport parlementaire sur la guerre économique, Christophe Plassard souligne la nécessité d’une culture collective de la vigilance, d’un meilleur usage des participations de l’État et de mécanismes innovants pour soutenir les entreprises stratégiques.

Un paysage de menaces protéiformes
Le constat est simple : il est temps de sortir de la naïveté collective et se rendre compte de l’état de la menace. « Tous les acteurs, qu'ils soient industriels, militaires, chercheurs, universitaires, s’accordent à dire que la menace est réelle, sérieuse et omniprésente. » souligne Christophe Plassard. 80 % de ces attaques ciblent les PME, moins protégées que les grands groupes, et prennent des formes variées : indiscrétions internes, intrusions, sabotages, survols par drones, cyberattaques ou prises de contrôle hostiles. « La guerre est bien de retour, sous toutes ses formes : la guerre traditionnelle, celle que l’on observe en Ukraine, dans certains pays d’Afrique et au Moyen-Orient ; la guerre hybride, qui se déploie à coups d’ingérences étrangères ou de manipulations de l’information ; et la guerre économique, qui oppose nos entreprises à celles de nos compétiteurs stratégiques » note le rapport. Les alliances stratégiques ne doivent pas masquer une réalité : certains partenaires économiques restent des concurrents potentiels. « Les pays n'ont que des intérêts. Il faut le garder comme une petite musique, sans être paranoïaque, mais en étant lucide sur les intérêts qui peuvent être divergents même avec nos alliés. » abonde le député. Les Etats-Unis par exemple n’hésitent pas à utiliser l’extra-territorialité ou le lawfare à son avantage pour servir ses intérêts économiques.
La défense économique française en demi-teinte
« Aujourd’hui, la cartographie des systèmes de veille et d'alerte et d'accompagnement est plutôt bonne. La coopération entre les services aussi : Bercy et le ministère des Armées travaillent en bonne intelligence. » confie Christophe Plassard et de poursuivre : « Mais, la problématique principale est celle de la masse. Les correspondants en région doivent parfois couvrir un très grand territoire et n’ont pas les moyens de prendre connaissance de toutes les situations parce que le travail est colossal ». Concernant les atteintes capitalistiques, la question de l’anticipation est primordiale et aujourd’hui malheureusement insuffisante : « Lorsqu’un fonds d’investissement est validé par le mécanisme des investissements étrangers pour investir dans une entreprise française, nous savons qu’il sortira dans un horizon de cinq à sept ans. Cela devrait nous permettre d’anticiper : si le fonds majoritaire, passé cette échéance, souhaite se retirer, nous devrions pouvoir préparer en amont la recherche de futurs investisseurs. Or, aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens d’assurer cette veille dynamique » explique le député. « Le mécanisme de contrôle des investissements étrangers en France fonctionne plutôt bien, mais il existe des stratégies de contournement. J’ai en tête l’exemple d’une société qui s’était défendue contre une attaque capitalistique américaine en se rapprochant d’un partenaire allemand. Finalement, ce partenaire a lui-même été racheté par l’agresseur initial. C’est un véritable jeu de billard à plusieurs bandes, qui montre qu’on ne sera jamais assez vigilants. » souligne le député. Idem du côté du renseignement économique qui est aujourd’hui certes performant mais sous-doté en moyens humains et législatifs. « Les services de renseignement doivent être dotés d’outils adaptés afin d’assurer une surveillance au long cours et pas seulement lors d’actions capitalistiques. Il faudrait aussi renforcer le cadre législatif, notamment en revoyant les pénalités dérisoires de la loi de 1968. Enfin, il y a la question des moyens humains : si le savoir-faire existe, la question de la masse reste aujourd’hui essentielle. »
Des pistes concrètes
« Il y a plusieurs leviers qui pourraient être activés pour renforcer l’efficacité de l’État dans ses participations industrielles. D’abord, le modèle du proxy board fonctionne très bien pour certaines entreprises, et il n’y a pas de raison qu’il ne puisse pas être mis en place plus largement en France, car c’est un procédé déjà existant aux États-Unis ou en Australie par exemple. Ensuite, les dividendes des entreprises détenues par l’État, qui représentent aujourd’hui 2 à 3 milliards par an et alimentent le budget général, pourraient être conservés dans un fonds dédié. Cela permettrait de disposer immédiatement de liquidités pour financer de nouvelles participations ou renforcer celles existantes, sans dépendre des appels de fonds ou de la vente d’actifs, qui ne sont pas toujours synchronisés avec les besoins du marché. » propose Christophe Plassard et d’ajouter : « Concernant l’exportation de produits militaires ou de défense, le processus est déjà très strict : chaque produit, client et processus est validé avec rigueur. Pourtant, une fois cette licence obtenue, les entreprises, et notamment les PME, doivent souvent passer par de nombreuses banques pour obtenir les financements nécessaires, ce qui peut prendre des mois. Il serait donc pertinent de réfléchir à un mécanisme de mutualisation ou de tourniquet, afin que l’accès au financement ne devienne pas un obstacle et ne fragilise pas la relation commerciale avec le client, tout en offrant des garanties aux établissements bancaires. » Au-delà de ces mesures, il est essentiel de développer une culture collective de vigilance. « Je pense simplement qu’il est indispensable d’entretenir le discours et l’alerte. Le combat doit être collectif et permanent et la sensibilisation dépasser les cercles restreints en étant notamment intégrée dès la formation des étudiants qui seront les futurs dirigeants de demain » conclut Christophe Plassard.



