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Réarmement et autres priorités : quels financements pour préparer 2030 ?

Alors que les menaces sécuritaires persistent aux frontières du continent, la question du réarmement stratégique de la France s’impose avec une acuité nouvelle. L’ambition d’atteindre une cible budgétaire de 3 à 3,5 % du PIB pour les dépenses de défense d’ici 2030 ne relève plus de la rhétorique, mais d’un impératif géopolitique et budgétaire. À l’heure où les finances publiques françaises affichent des marges de manœuvre réduites, la soutenabilité de cette trajectoire impose une réflexion lucide, combinant impératif de sécurité, réalisme économique et souveraineté industrielle.

Rencontre avec Clément Beaune, Haut-commissaire à la Stratégie et au Plan


Propos recueillis par Mélanie Bénard-crozat

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Une pédagogie budgétaire indispensable


La note stratégique à l’origine de cette réflexion ne vise pas à choisir une cible de dépenses : elle éclaire les implications concrètes de chaque hypothèse budgétaire. Derrière le pourcentage de PIB se cachent des masses financières considérables. Par exemple, atteindre 3,5% du PIB pour la défense, c’est doubler le budget des armées d’ici 2030, soit environ 120 milliards d’euros annuels contre 60 milliards aujourd’hui, dans un contexte de dette publique élevée et de pression fiscale déjà record au sein de l’Europe. Un effort inédit depuis plusieurs décennies.

Mais l’originalité de cette approche réside dans sa méthode. Elle ne prétend pas trancher, mais expliciter : que signifie viser 3,5 % du PIB ? Quelles économies ou réformes cela implique-t-il ailleurs ? Il faut donc décortiquer les arbitrages, dévoiler les choix, pour que le débat démocratique soit éclairé et non occulté par des slogans.

Face à l’ampleur de l’effort à consentir, trois leviers de financement sont mis en lumière : économies sur d’autres dépenses publiques, augmentation des prélèvements, et réformes économiques favorables à la croissance. Aucune de ces pistes, prise isolément, ne suffit. Combinées, elles offrent en revanche un chemin réaliste. Mobiliser un seul levier en 5 ans rendrait l’effort quasi impossible. En combinant, par exemple, les économies et les réformes, cela devient crédible. L’approche proposée rejette une opposition frontale entre effort de défense et modèle social. Il ne s’agit pas de sacrifier l’un à l’autre, mais de rechercher un équilibre. Cela suppose d’accepter que certaines dépenses, notamment sociales ou locales, puissent faire l’objet d’une revue sérieuse. On peut financer à la fois notre modèle social, la transition écologique et un effort de défense accru. C’est difficile, mais faisable.


Urgence d’un sursaut stratégique européen


La construction d’une véritable Europe de la défense ne peut plus être différée. La France, forte de son modèle d’armée complète et de son industrie souveraine, doit jouer un rôle d’impulsion, comme elle le fait depuis 2017. C’est donc un réarmement européen concerté, articulé autour de trois piliers, que nous évoquons.

Un financement commun via un emprunt européen dédié à la défense, à l’instar de celui mis en œuvre pour le plan de relance post-Covid, permettrait de mutualiser l’effort. Cette piste, autrefois taboue, est désormais envisagée par des pays comme l’Estonie. Un outil raisonnable et utile, alors que l’Union européenne, au total, n’est pas surendettée. Il faut que l’UE passe d’un budget embryonnaire à une vraie capacité d’investissement en matière de défense.

Une préférence européenne. Il est illogique de réclamer un effort budgétaire commun si celui-ci alimente des industries extérieures à l’Union, en premier lieu américaines, et entretient nos dépendances.

Une gouvernance industrielle renforcée. S’inspirer du modèle de la Direction Générale de l’Armement (DGA) française permettrait de structurer une politique industrielle de défense ambitieuse, coordonnée, et moins fragmentée. L’Agence européenne de défense pourrait en constituer le noyau, à condition d’une refonte de ses compétences et de ses moyens. De quoi structurer une politique industrielle de défense plus intégrée, avec une prescription commune, des financements conjoints, et une meilleure coordination. Avoir un modèle industriel européen ne se décrète pas. Il se construira par la preuve, projet par projet.


L’alliance des volontés


La France dispose d’alliés qui bougent dans son sens : l’Allemagne, qui commence à assumer un changement de posture et investit ; la Pologne, devenue incontournable par son poids militaire et son positionnement géographique ; les pays baltes, en première ligne face à la menace russe.

Ces États, aux profils différents, ont compris que l’autonomie stratégique européenne est un horizon vital. Et nous ne pourrons pas demander aux citoyens européens de faire un effort si c’est pour renforcer notre dépendance aux États-Unis.

Nous devons également inventer de nouvelles formes de coopération spécifiques avec le Royaume-Uni, qui doit participer à la sécurité européenne.

Le risque est qu’au-delà du sentiment de choc et d’urgence actuel (pression de Donald Trump, guerre en Ukraine…), l’Europe retombe dans l’endormissement. C’est pourquoi il faut inscrire l’effort dans le temps long. Un pacte européen de sécurité et de défense, à l’image du pacte budgétaire, permettrait de fixer une trajectoire, de contrôler sa mise en œuvre, et d’éviter les revirements. Nous avons quelques mois pour avancer vite et fort. La configuration actuelle est favorable à l’Europe.


Gouverner, c’est choisir


Réarmer la France et bâtir une Europe de la défense ne sont pas des options politiques, mais des nécessités historiques. L’effort sera considérable, les arbitrages complexes, les résistances nombreuses.

Nos travaux offre une méthode, une lucidité et une ambition. La note fixe des ordres de grandeur, chiffre les efforts nécessaires, et éclaire les arbitrages à venir. Elle pose les jalons d’un financement responsable, européen, et industriellement cohérent. Gouverner c'est choisir. Il faut donc éclairer les choix. Des scénarios économiques et budgétaires sur nos finances publiques seront présentés en ce sens par le Plan d’ici à la fin de l’année.

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